Par Pierre Souchaud (Artension) La peinture de Jean-Louis Salvadori est entièrement vouée au bonheur : bonheur de l’enfance, bonheur des cœurs purs. On devine bien qu’à son revers, il y a toutes les détresses humaines que l’artiste n’oublie pas, mais on devine également que, les connaissant intimement, il ne veut avoir aucune complaisance envers elles. Sa peinture se propose donc comme antidote au marasme, à la négativité, à la maladie, au nihilisme ambiants… À contre-courant donc de cette tendance dominante qui veut que ces ingrédients soient indispensables à la « qualité » des produits artistiques. « La cuisine à la télé, c’est toujours joyeux… la peinture, en revanche, c’est le plus souvent triste et désespérant… », nous dit Jean-Pierre Coffe, dans un entretien pour Artension. Salvadori sait lui aussi que la bonne santé est contagieuse et que le plaisir de la peinture, tout comme celui du bon vin et de la bonne cuisine, est ce qui existe de plus roboratif... et, finalement peut -être, de plus subversif. Plaisir de raconter les moments heureux de la vie des gens, petites histoires simples bien loin de la grande Histoire toujours tragique, mais en immersion dans ce que l’humain a de plus positif, permanent et universel. Plaisir immédiat de pétrir et « cuisiner » les papiers, les huiles, les encres : immersion là encore hautement sensuelle dans la matière vivante.Et c’est bien cette recherche de proximité fusionnelle avec la réalité de la vie et des choses, que naît , comme chez le poète, cette mise à distance, ou ce dépassement qui fait la beauté partageable.
AU BOUT DU REVE, LE PETIT MONDE DE JEAN-LOUIS SALVADORI, peintre. Quelles bonnes fées se sont donc un jour penchées sur le berceau de Jean-Louis Salvadori, pour lui donner le pouvoir de créer de petits êtres, témoins pétillants et ensoleillés de sa joie de vivre ; l’amener vers des œuvres sereines, possédant une tranquille évidence, où tout se passe comme s’il sélectionnait des moments précieux de ses vagabondages fantasmatiques ? Quelle que soit la réponse, ce peintre va, peignant SA réalité. La quittant bientôt pour se lancer dans une fiction gentille, glisser vers une fantasmagorie comparable à celle du Magicien d’Oz, doucement onirique, clin d’oeil léger comme cet Allumeur des étoiles qui, du haut de son échelle, s’apprête à saisir la lune. Attraper la lune, avoir les yeux dans les étoiles, n’est-ce pas là, vieux comme le monde, le désir secret de tout être humain, a fortiori de tout créateur ? C’est, en tout cas, celui qui anime Jean-Louis Salvadori, lorsqu’il emmène vers l’infini son œuvre originale, poétique et jubilatoire, qui émoustille l’imaginaire, donne au spectateur l’envie d’« écouter » l’histoire qu’elle lui raconte ! Car cette œuvre est narrative, contant de petites tranches de vies au quotidien. Un quotidien heureux, que l’artiste remodèle à l’aune de son imaginaire (Home, Tricycle pour famille heureuse, Sur la route étoilée…). Une réalité de départ qu’il reconstruit afin de privilégier un sentiment récurrent d’intimité. Et, une fois encore, il faut se demander pourquoi les œuvres à connotation naïve, ont toujours un petit air passéiste ? Est-ce parce que l’abondance de menus détails (cœurs, étoiles, fleurs, papillons, oiseaux…) en suspension autour des personnages implique la nostalgie d’un temps où ils ornaient le moindre billet galant, où la tendresse n’avait rien de honteux ? Est-ce encore (Le chariot du bonheur) parce qu’en ce temps-là, bêtes et gens parlaient semblable langage, avaient des rôles de même importance ? Jean-Louis Salvadori n’échappe pas à la règle, qui recompose/peint/colle… ces petits êtres sur la toile, les organise en des scènes qui appartenaient naguère à l’imagerie populaire. Naïve, l’œuvre de ce peintre l’est aussi par la « simplicité » des contours de ses personnages ou animaux, réduits à leurs lignes essentielles, qui le ramènent par leur semblant de maladresse mais leur véritable science du trait, par une façon bien à lui de styliser son petit monde, à des séquences (La poussette enchantée…) pleines d’humour et bon enfant ! Surprenantes, aussi, parce que, quels que soient les thèmes exprimés, chaque tableau est un véritable pied de nez à la géométrie, qui empêche les personnages d’être tout à fait verticaux ou tout à fait horizontaux, les place en des déséquilibres d’autant plus spectaculaires qu’il semble ignorer totalement les angles droits, les articulations pointues. Un univers tout en courbes (L’âne troubadour, Cric et Croc à Roland Garros…), sans aucun souci de perspective. Ne prenant pas une ride, non plus, au fil des années. Car l’œuvre de Jean-Louis Salvadori est atemporelle, (même si, intuitivement, le visiteur la situe dans le passé) ; exempte de toute indication géographique (d’ailleurs, chaque épisode se déroule sur un fond non signifiant), n’appartenant à nulle classe sociale (les vêtements sont souvent des corps/habits ou de simples tuniques informes). Avec parfois un rappel de la « vraie » vie, comme ce tableau inattendu où le visage épuisé des protagonistes, leurs corps tassés dans leurs chariots, laissent penser que leur leitmotiv « Le bonheur est au bout du chemin », n’a peut-être pas de réalité ; ou que ce chemin sera encore bien long avant de parvenir à son terme ! Mais, généralement, les personnages de Jean-Louis Salvadori brodent leur destinée (Les magiciens imaginaires), la vivent en chantant, en jouant de la musique plutôt (Trio concerto, L’âne troubadour…) ; la dansent tels des enfants faisant la ronde ou des funambules défiant la pesanteur (Voltigeurs et jongleurs) ; jouissent d’une existence riche et multiple, comme si, pour eux, le temps n’existait pas ! Tout cela rendu en de magnifiques tonalités, car il faut aussi parler du talent de coloriste de l’artiste qui affectionne les teintes chaudes ; et, grâce à la conjonction de couleurs pures, vives sans jamais être criardes, accentue le sentiment de grande harmonie et de charme inimitable : les bleus profonds des journées estivales, les rouges des pommes d’api, côtoyant les verts tendres des prairies printanières… jouant de leurs proximités, leurs grandes plages séparées seulement par les rayures ou les mouchetures des vêtements, les coffres des véhicules de guingois, qui emmènent au bout de leurs rêves ces petits êtres aventureux. Bref, où situer ce créateur, une fois précisé qu’il est résolument hors-les-normes ? Est-il « naïf » comme il a été affirmé plus haut ? Est-il « brut », par la profonde implication psychologique qui se dégage de chacune de ses œuvres, la créativité instinctive perceptible dans chacune d’elles ? Est-il tout cela à la fois ? Finalement, ne suffit-il pas de dire qu’il est amoureux d’une histoire multiforme et néanmoins toujours la même, née sous son pinceau attentif et tendre : qu’il est fou de la –de sa- peinture, en somme ! Ouvre ton cœur, dit l’un de ses personnages ! Jeanine Rivais. |